L’Electrolab au NEC 2022

Hackerspace à Nanterre

Salle des associations

L’Electrolab au NEC 2022

Quelques éléments de contexte

Toujours par monts et par vaux, l’équipe de l’Electrolab a participé, en cette fin septembre et pour la 5ème année consécutive, à la nouvelle édition du NEC ou Numérique en Commun[s] qui se déroulait à Lens. Une fois n’est pas coutume, elle n’y était pas en représentation, avec son stand, ses antennes et ses jeux éducatifs faits maison, mais pour rencontrer la grande communauté de la médiation numérique en France. Car, depuis quelques temps déjà, l’équipe de l’Electrolab a ajouté une corde à son arc éduc pop. Outre la médiation scientifique et technique, elle a lancé un pôle de médiation numérique qui s’articule autour de la diffusion de la culture numérique, de l’initiation à l’usage des outils numériques, de l’éveil à la pensée informatique et de la découverte de la programmation.

Dans le cadre de ces activités, elle a choisi de cibler jeunes et familles, qui souvent consomment le numérique sans véritablement le maîtriser. Cet objectif a suscité de nombreuses réflexions autour de la stratégie à adopter pour faire venir ce public à l’Electrolab. Des freins ont été identifiés, des solutions évoquées, voire mises en oeuvre, mais il semblait évident que recueillir l’avis de pairs plus expérimentés sur ces problématiques ne pouvait qu’être enrichissant. C’est dans cet esprit qu’il a été décidé de se concentrer sur la programmation du NEC dédiée aux usages numériques au sein des familles.

Carnet de bord

Mercredi 28 septembre

Bienvenue à Lens !

“Lens, ville du Nord, où il fait froid mais où les coeurs sont chauds”, “Lens, ses terrils er son passé minier fièrement revendiqué”, “Lens, son Racing Club aux couleurs sang et or et ses supporters à la ferveur proverbiale”…

Ok mais en septembre 2022, Lens est une ville ensoleillée, qui célèbre Jean-François Champollion et le décryptage des hiéroglyphes dans son musée du Louvre-Lens au design futuriste. Et puis c’est surtout un stade Bollaert investi par des hordes joyeuses d’acteurs de la médiation numérique venues de toute la France pour se rencontrer, échanger, apprendre et transmettre. Dans les salons VIP transformés en ruche, les petites abeilles de la mednum ont enchaîné master classes, ateliers, retex et tables rondes.

Les trois temps forts

Compétences numériques à l’école : quel rôle pour les acteurs de la médiation numérique ?

RETEX Durant ce moment de réflexion collective, le public a partagé ses expériences de terrain et son vécu avec Sophie de Quatrebarbes, universitaire et chercheuse membre de l’initiative Edu2030. Le micro passait de main en main pour répondre à quatre questions :

  • Qu’entend-on par développement des compétences numériques ?
  • Qui sont les acteurs de l’éducation au numérique et de la formation des enseignants ?
  • Comment répondre aux besoins des enseignants en matière d’éducation au numérique ?
  • Quelles sont les compétences qui doivent être acquises à l’école et hors l’école ?

Les remontées de terrain, décrivant des contextes et des pratiques différentes, ont été soigneusement notées par Sophie sur un paperboard. Précieuse matière qui, comme elle l’a expliqué, lui permettra, dans le cadre de ses recherches, de modéliser les différentes possibilités de collaboration entre l’Education Nationale et les acteurs de médiation numérique.

Et puis il y a eu cette phrase qu’il fallait compléter : Un citoyen éduqué au numérique, c’est quelqu’un qui…

Les réponses ont fusé de toutes parts. Un citoyen éduqué au numérique est quelqu’un qui a une boîte email, sait utiliser les outils numériques, agit en ligne avec agilité et prudence, sait gérer ses secrets, utilise le numérique comme outil d’apprentissage, est responsable de ses actes en ligne, gère ses contenus en ligne avec frugalité, utilise le numérique avec éthique et responsabilité, est un citoyen même sans numérique, fait ses choix en conscience, ne reproduit pas les fractures, inégalités et discriminations, contribue au monde numérique et à la société, contribue à éduquer le numérique (celle-là nous plaît bien !), connaît les bénéfices et les limites du numérique, est libre et capable de choix éclairés…

Et vous que diriez-vous ?

Concevoir des interventions (vraiment) adaptées aux pratiques numériques des familles

ATELIER Lorsque les problématiques sont bien énoncées et que les participants sont volontaires, les ateliers deviennent des moments de rencontres et d’émulation. L’objectif de cet atelier était de documenter les forces et faiblesses des interventions destinées aux familles. Trois groupes de six ont, chacun, réfléchi sur l’une des trois questions posées :

  • Comment aborder tous les enjeux du numérique scolaire en accompagnant les parents à l’usage des ENT (Environnement Numérique de Travail) ?
  • Comment créer un cercle vertueux autour des élèves et de leur accompagnement au numérique via l’implication des parents ?
  • Comment mobiliser les familles qui en ont le plus besoin ?

Ce troisième point est une problématique sur laquelle l’équipe de l’Electrolab réfléchit depuis un moment. Et il était intéressant d’écouter ce que les membres du groupe, venus de Nice, Lyon et Lille, avaient à en dire. En deux temps de brainstorming destinés à identifier les freins et à proposer des pistes d’action, chaque membre a pu partager son constat et évoquer ses (tentatives de) solutions au cas par cas.

Le constat de départ : dans toutes les classes sociales, il y a des parents réfractaires au numérique, soit par conviction, soit par appréhension. Ils deviennent, de fait, difficiles à mobiliser.

Parmi les freins identifiés , le groupe a choisi de travailler sur l’idée reçue (mais parfois juste !) que se font les parents des interventions sur le numérique : ces interventions sont descendantes, paternalistes, anxiogènes et moralisatrices, en un mot, « elles sont chiantes » (sic).

Pour battre en brèche cette idée, le groupe a proposé une piste d’action plutôt inattendue, consistant à « mobiliser les enfants pour produire à destination de leurs parents un contenu / une activité qui valorise le fun et la nuance » dans les usages numériques ; cette piste d’action permettant aux médiateurs numériques d’être identifiés et perçus de manière positive par les parents réfractaires qui pourraient, peut-être plus tard, participer à leur tour à une activité liée au numérique.

Salle des associations

Jeudi 29 septembre

Ce qu’il faut avoir compris des usages numériques des jeunes pour mieux accompagner les familles (mais pas que)

REGARDS CROISES Cette table ronde, qui a attiré beaucoup de monde, a réuni Thomas Rohmer, fondateur de l’OPEN (Observatoire de la Parentalité et de l’Education Numérique). Anne Cordier, enseignante-chercheuse en science de l’information et de la communication, spécialiste des usages et pratiques numériques des jeunes et Yves Collard, expert et formateur en éducation aux media en Belgique, professeur invité à l’Institut des Hautes Etudes des Communications Sociales, cotitulaire du cours « Psychosociologie des usagers et des pratiques médiatiques ».

En guise d’introduction, Thomas a présenté les résultats de l’étude annuelle publiée par son association et intitulée « 2022 : Parents, enfants et numérique ». Cette étude, qui a mesuré l’impact de la crise sanitaire sur les comportements numériques au sein des familles, pourrait se résumer en trois points clés : d’abord, le temps d’écran des parents et des enfants a explosé, ensuite, les parents et les enfants méconnaissent leurs pratiques numériques respectives et enfin, le contrôle et le flicage sont privilégiés au dialogue.

Dans la continuité, Anne et Yves ont élargi les échanges pour suggérer ce que les parents d’une part et les politiques d’autre part, « doivent comprendre » (sic).

Concernant les parents, les deux experts sont partis du double constat que l’approche basée sur les risques ne fonctionne pas et que la stratégie de l’évitement est toujours perdante à long terme pour proposer des pistes de réflexion afin de décrypter les discours anxiogènes et résister aux injonctions. Pour cela, Yves a préconisé de partir de la « peur morale » des parents provoquée par les media et de revenir notamment sur la distinction discutable entre « réel » et « virtuel », sur la légitimité des usages, sur l’abus des termes psychopathologiques (narcissisme, voyeurisme…) utilisés pour qualifier les pratiques numériques des jeunes, et rappeler ce qu’est l’adolescence. Les deux intervenants ont évoqué le fait que la loupe des media traditionnels agrandit et déforme les faits liés aux usages numériques et ont souligné que les usages numériques des parents ne sont pas nécessairement irréprochables, notamment lorsque ces mêmes parents diffusent sur les réseaux sociaux des photos de leurs enfants mineurs sans se poser la question du consentement et du droit à l’image. Enfin, ils ont rappelé que dans un contexte sociétal où les parents sont soumis à l’injonction de protéger son enfant plus qu’à l’autonomiser et l’émanciper, s’occuper d’un adolescent et l’accompagner est plus que jamais compliqué, que celui-ci soit connecté ou pas.

Concernant les politiques, Anne et Yves ont expliqué que devant une stratégie de diabolisation du numérique qui ne fonctionne pas, les politiques se devaient de promouvoir les compétences numériques auprès de toutes et tous. Toutefois, face à un numérique outil d’émancipation et de liberté, Anne s’est posé la question de savoir si les politiques voulaient vraiment que « le peuple s’émancipe et prenne le pouvoir ». Enfin, pour favoriser une approche constructive et faciliter « l’aller vers » (sic), les deux experts ont insisté sur le fait que les politiques devaient cesser d’émettre des injonctions contradictoires telles que favoriser les communs et installer des logiciels Microsoft dans toutes les écoles de France ; soutenir l’émancipation des jeunes par le numérique et, pour ce faire, envoyer en intervention scolaire, non pas des spécialistes de l’éducation au numérique mais des gendarmes et des policiers ; promouvoir des temps d’écran limités et laisser des télévisions allumées en permanence sur la chaîne Gulli dans les services pédiatriques des hôpitaux, etc.

En conclusion de ces échanges, Anne a rappelé qu’il fallait « avoir une vision nuancée, joyeuse et déculpabilisante des usages numériques. S’informer en ligne est une chance, un plaisir et cela donne du pouvoir. »

Studio de la radio de la Banque des territoires

Radio délocalisée de la Banque des Territoires

Enfin, Thomas, pour clore ces regards croisés franco-belges, a souligné que les parents, aujourd’hui extrêmement anxieux, ont redéfini leur fonction parentale comme celle d’un superhéros qui doit protéger son enfant contre tout ; et particulièrement contre le numérique accusé de tous les maux. Regrettant que les politiques publiques répondent à cette anxiété par des « kits Parents 2.0 » inadaptés et inefficaces, Thomas a déclaré que la manque d’espace de réflexion était manifeste et que cela laissait la place à des politiques publiques construites sur l’émotion.

Ses recommandations : « faisons confiance aux familles qui souvent développent des stratégies innovantes pour faire face aux usages numériques de leurs enfants. Levons les contradictions dans les discours ambiants, stoppons les campagnes de sensibilisation infantilisantes et surtout, unissons-nous contre ceux, nombreux, qui sur le numérique profèrent un discours alarmiste et anxiogène à des fins lucratives. »

Pendant deux jours, la grande famille de la médiation numérique aura ainsi phosphoré autour de problématiques cruciales alors que s’opère, en France comme dans le reste du monde, un basculement irréversible vers le tout numérique.