Technoféminisme à NEC 2023

Hackerspace à Nanterre

Masterclass sur le technoféminisme à NEC 2023

Technoféminisme à NEC 2023

NEC ou Numérique en Commun[s] tend à s’imposer comme le rendez-vous incontournable des acteurs du numérique d’intérêt général. Lors de cette 6ème édition bordelaise (19-20 octobre), professionnels et territoires ont présenté et initié des projets, à l’occasion de rencontres et d’échanges autour de cinq thèmes : « médiation et compétences numériques », « données et territoire », « éthique et émancipation », « communs et souveraineté », « écologie et soutenabilité ».

C’est sous le thème « écologie et soutenabilité » (ah bon) et sous l’intitulé « Technoféminisme : comment se réapproprier l’espace et les technologies numériques ? » que l’unique temps de réflexion consacré à la place des femmes dans le numérique s’est tenu. Il a rassemblé un public nombreux et des intervenantes de haute qualité sous les ors et les boiseries de la salle des commissions du Palais de la Bourse.

En partant de leur expérience de vie en tant que femme mais aussi en tant qu’artiste et professeure de creative coding, artiste graphiste et programmeuse, mécanicienne en garage ou encore ingénieure informaticienne senior, les participantes sont revenues sur ce qui a fondé leur engagement technoféministe ; notamment la lecture du « Manifeste cyborg » de Donna Haraway ou « Les oubliées du numérique » d’Isabelle Collet. Elles ont également décrit comment, une fois la phase de conscientisation individuelle passée, elles ont conçu ou rejoint une initiative collective.

Installée à Marseille, Chloé Desmoineaux a, par exemple, transformé son atelier d’artiste en un espace transféministe de hacking en tout genre. Le Fluidspace. « Dans ce lieu, qui est en mixité choisie, on démystifie la complexité supposée des technologies » à l’occasion d’ateliers et de conversations autour d’un thé sur les thèmes Tech et féminisme. On y organise des install parties, des ateliers de circuit bending ou de création de jeux vidéo. De point de rencontre, cet espace est ainsi devenu le point de départ d’une dynamique locale, comme c’est le cas de Hacqueen.

Depuis 2022, ce collectif cyberféministe a, en effet, un local près de la gare de Strasbourg. Et cela a tout changé. Pour Marjorie Ober, membre active, « la reconquête du numérique passe par le lieu. » Dans ce lieu, les membres animent des ateliers d’autodéfense numérique. Elles envisagent également de pérenniser leurs contenus pédagogiques sur un site Web et de monter leur propre serveur féministe, géré de manière collective et autonome. « Accessibilité, soutenabilité et logiciel libre sont les trois piliers de notre collectif. Nous les considérons comme un corollaire du féminisme » ajoute-t-elle. Le collectif Hacqueen, qu’elle présente comme « un réseau de confiance, d’échange d’expériences et de techniques », vise « l’émancipation matérielle technique et sociale des personnes. » Il s’inscrit, en cela, dans le même élan technoféministe que le projet bicéphale de Sarah Millet-Amrani.

Formée aux sciences sociales et à la mécanique automobile en garage, la fondatrice de l’association Les Déculassées propose à un public féminin des ateliers animés par des mécaniciennes. En parallèle, elle coorganise La Tenaille, un festival féministe des savoir-faire techniques qui mélange ateliers, discussions, projections et soirées festives. En septembre dernier, la 2ème édition a programmé, sur huit jours et en mixité choisie, cinquante ateliers de « savoir-faire dits masculins et de savoir-faire dits féminins » raconte Sarah. Linogravure, électricité, charpente/zinguerie, cordonnerie, soudure, méca vélo, conduite de tracteur, cuir, céramique… « La construction patriarcale du rapport à la machine – supposée dangereuse – et au corps de la femme – supposé fragile et inadapté – contribue à la répartition genrée des tâches. Pour moi, il y a clairement un combat féministe à mener dans le champ des savoir-faire techniques. » En deux ans, « La Tenaille a provoqué un effet waouh à Montpellier ». Franc succès en termes de concept et de fréquentation, le festival essaime. Il y a désormais La Chignole à Marseille, et d’autres outils arrivent à Toulouse, Perpignan, Montreuil ; l’objectif étant de créer un large maillage de festivals de savoir-faire techniques féministes.

Sans éluder les difficultés financières et organisationnelles rencontrées, les intervenantes avancent toutes dans un même but : s’unir pour se réapproprier les connaissances, les machines et les lieux dédiés aux technologies. A l’image de Duchess France, collectif dont Agnès Crepet, ingénieure logiciel activiste, responsable IT et longévité logicielle pour Fairphone, est une représentante historique. « On veut nous faire croire que nous ne sommes pas faites pour le monde de la technique mais pour le monde de la nature et de l’enfantement. On veut nous convaincre que le cerveau des femmes n’est pas conçu pour faire de la programmation informatique. […] L’approche intersectionnelle permet de comprendre qu’il s’agit d’un problème sociétal et que ce ne sont pas les femmes qui sont responsables. » C’est dans ce contexte que l’association Duchess France s’emploie, depuis 2010, à valoriser et visibiliser les informaticiennes et les techniciennes, ainsi qu’à susciter auprès des jeunes filles des vocations pour ces métiers.

L’essor de La Tenaille, le développement du Fluidspace et de Hacqueen, l’ampleur de l’action de Duchess France témoignent, en tout cas, de cette volonté de s’imposer massivement dans le monde technique et numérique, en ligne et hors ligne, en tant que femmes et personnes queer. S’imposer mais en inventant un modèle alternatif qui exclut logiques patriarcales, discriminations et violences de genre. En inventant un modèle collectif, émancipateur et égalitaire.